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21 mai 2010 5 21 /05 /mai /2010 20:14

Pierre Assante

Lettres

 

Copie de 000 1493La jeune fille et la mort

 

Simone, mon Amie,

« On libère en soi de l’énergie. Mais sans cesse elle s’attache de nouveau.

Comment la libérer toute ? Il faut désirer que cela soit fait en nous. Le

désirer vraiment. Simplement le désirer, non pas tenter de l’accomplir.

Car toute tentative en ce sens est vaine et se paie cher. », disais-tu. Et tu

choisissais finalement d’accomplir. Et tu l’as payé cher.

Tu l’as payé cher, malgré cette immense lucidité des aveugles et des enfants qui

leur fait juger par le besoin de faire. « Ce qui est réel dans la perception et la

distingue du rêve, ce n’est pas les sensations, c’est la nécessité enveloppée des

sensations». Vouloir être utile et ne pas vouloir d’horizon. Vouloir être dans le

mouvement et l’éternité du moment. Sans moment. Refuser l’engagement taureau

aveugle et refuser l’indifférence animal égoïste : « D’autres efforts… sont

toujours utiles…sont accompagnés de l’attention continuellement

concentrée sur la distance entre ce qu’on est et ce qu’on aime »

« L’attention extrême est ce qui constitue dans l’homme la faculté

créatrice ». Comme ta petite soeur Camille Claudel, et ta grande soeur Eloïse et toutes tes soeurs inconnues à qui l’on a fait croire que ce n’était pas à elles de

dire, tu partages avec elle cette attention que le silence offre. Alain oui, mais le

silence en plus et la parole issue du silence, à distance de la reconnaissance.

« Le christianisme a voulu chercher une harmonie dans l’histoire. C’est le

germe de Hegel et de Marx. La notion d’histoire comme continuité dirigée

est chrétienne.

Il me semble qu’il y a peu d’idées plus complètement fausses. Chercher

l’harmonie dans le devenir, dans ce qui est le contraire de l’éternité.

Mauvaise union de contraires ». Même dans ton amour, à ton amour tu

refuses l’autorité. Pour lui donner tout sans qu’il ne te prenne rien. Pour t’offrir

dans l’acceptation absolue. Pour que ton don sache ses limites et sache son

infini: « Pourquoi la volonté de combattre un préjugé est-elle le signe

certain qu’on en est imprégné »

« Le poète produit le beau par l’attention fixée sur le réel. ». L’objet tourné

cent fois entre tes mains. Tu l’as vu avec tes yeux. Tu l’as vu avec les yeux des

autres. C’est parce que tu a voulu voir la multitude des visions que tu as choisi

la tienne, allant sans cesse du dehors au dedans de ta vision et du dedans au

dehors de ton amour. De ta vision-amour. J’entends en pensant à toi ce quatuor

de Frantz. Être capable de vivre avec les barbares, leur culture, sans rejeter la

tienne dans ce qu’elle a de non dominant, de ce à laquelle elle a accédé de plus

complexe, d’encore plus humain.

« Dans le domaine de l’intelligence, la vertu d’humilité n’est pas autre

chose que le pouvoir d’attention ». Tu as appelé l’humilité Weil. Sachant que

tout est aussi posture et que la posture devient nature et que nature est

infiniment attaquée par elle-même. Et qu’il y a tant de mouvement dans

l’immobilité : « Le rapport entre le corps et l’outil change dans

l’apprentissage. Il faut changer le rapport entre le corps et le monde ».

« A travers chaque sensation, sentir l’univers ». C’est ça ton amour. Ta

volonté a été de le sentir, qu’il te pénètre totalement, et que tu le pénètres

totalement. Cette fusion impossible c’est ton possible, ton choix. Un avenir

dans le présent, TON présent, parce que tu refuses l’avenir en tant que refus

vulgaire d’un présent mutilé d’avenir présent. Refuser d’accomplir pour

accomplir. Ton cerveau et ton corps, l’un inséparable de l’autre, parce qu’ils ne

sont pas l’un sans l’autre, parce qu’ils sont un tout inséparable, parce que les

imaginer autrement que ce tout, c’est les imaginer en dehors de leur lente

croissance, de leur lent mûrissement, de leur lent processus de transformation

permanente en quelque chose d’autre. Comme l’espèce qui est sans cesse autre

chose d’autre.

Ce que donne ta disparition c’est une présence infinie, une trace qui voudrait

grandir et qui peut grandir. Qui est immense et désespérée. Minuscule et

envahissante comme l’espoir, le désespoir, l’angoisse, la sérénité. Finalement le

souffle, le respirer, l’espace devant soi et l’attention dans l’espace. « On libère

en soi de l’énergie. Mais sans cesse elle s’attache de nouveau. Comment la

libérer toute ? Il faut désirer que cela soit fait en nous. Le désirer vraiment.

Simplement le désirer, non pas tenter de l’accomplir. Car toute tentative

en ce sens est vaine et se paie cher. »… dis-tu……

 

Pierrot

2 juillet 2006

 

Copie (2) de 20mai10 031Mon très Cher Augustin,

Mon très Cher Augustin,

Le courrier vient de m’apporter trois lettres. Ce sont les tiennes qui ont été

acheminées le même jour. Tu sais à quel point j’apprécie ton amitié. Etre en ta

présence et goûter les plaisirs de ta compagnie est une chose rare.

C’est pourquoi, j’ai une grande appréhension à t’avouer non pas mon désaccord avec

les propos de tes lettres, ce serait bien prétentieux, mais une façon de voir et d’être

dans la vie qui n’est pas la tienne, qui est ma différence.

Je sais que tu ne m’en voudras pas.

Je t’expose ma pensée sans détours, avec franchise, sachant qu’une pensée est

toujours précaire, mais que lorsqu’elle résout à peu près les problèmes quotidiens de

l’humain, elle a déjà beaucoup de valeur humaine.

Tu ne peux penser ce que tu penses que parce tu te trouves dans une situation

matérielle particulière. Tu as pu choisir entre la célébrité et l’isolement, la frénésie et

la méditation. Ce n’est pas le cas de tous. La plupart des humains sont contraints à un

état pour pouvoir vivre, survivre et tant bien que mal, quelquefois, se développer.

Notre ami commun, Salvien, par exemple, s’est à la fois dédié à Dieu mais est resté

pourtant dans la frénésie humaine pour ne pas s’éloigner de la condition humaine

commune, ordinaire. Sans cela, il n’aurait pu dénoncer cette maladie qui a miné

l’Empire, et qui l’a tué. Lorsqu’il défendait les Bagaudes, et vilipendait l’égoïsme qui

a ainsi privé de ressource les pauvres, la masse des citoyens et donc tué le travail qui

pouvait faire vivre notre société, il ne pouvait échapper à la frénésie. Il la subissait.

Mais toi-même en continuant d’écrire, ne te mets-tu pas en situation d’immodestie

vis-à-vis de Dieu et des hommes, et finalement ne te voues-tu pas à une tranquillité et

une intimité avec Dieu, égoïste, au moins en partie ?

Tu me dis, dans ta lettre XX que « chercher dieu, c’est chercher la vie

bienheureuse », et que « tous les hommes la désirant, il faut qu’ils en aient quelque

connaissance ».

Je suis en partie en désaccord, mais tout à fait d’accord sur l’idée qu’il faut qu’ils en

aient quelque connaissance.

Cette connaissance c’est celle du souvenir maternel. Oh ! Non un souvenir conscient,

mais une mémoire de cette fusion dans laquelle ils étaient totalement confondus avec

ce corps, corps maternel qui apaisait les souffrances de la faim et leur apprenait ainsi

et pour la vie le sentiment de douceur. La vie bienheureuse ne peut exister que s’il y a

vie et la vie est un mouvement dans laquelle les besoins se manifestent par des

douleurs, plus ou moins grandes, et des envies, plus ou moins grandes et leur

apaisement par les objets ordinaires d’apaisement.

Bien sûr, il ne s’agit plus des douleurs et des apaisements animaux. Nous avons

cultivé les sensations et les sentiments. Nous avons domestiqué en partie les douleurs.

Mais nous sommes capables de susciter les unes et les autres pour en éprouver

l’apaisement et le plaisir. Et tout cela en imaginant et en cultivant des valeurs. Ces

valeurs sont celles qui règlent les comportements normalisés et sans lesquels notre

vie en commun ne pourrait pas être. Et comme l’être humain ne peut résoudre ses

besoins qu’en commun, l’espèce humaine a universalisé ces valeurs. Elles sont

toutefois mouvantes parce que l’humain crée sans cesse des moyens nouveaux de

subvenir à ses besoins. Et puis il y a les moments et les individus qui enfreignent ces

valeurs. Les comportements sont aléatoires et l’individu ne trouve pas toujours dans

les valeurs la réponse à ses propres besoins.

Le Christ lui-même et Paul et Isaïe l’ont dit et l’ont fait : le Sabbat est fait pour

l’homme et non l’homme pour le Sabbat. De plus se sont les déviances à la loi qui

font justice aux valeurs essentielles. Il y a la loi et la foi, tu le sais bien, et moi je dirai

d’une autre façon : il y a la loi et la conviction. Un comportement peut être contraire

à la loi et répondre tout à fait à un besoin humain, individuel ou collectif. Et une loi

ne vit que par l’acceptation de la communauté. De même que le tyran ne peut exister

s’il n’a aucune fonction.

Enfin ce sont les tentatives d’agir autrement qui permettent de savoir et de voir ce qui

répond à ces besoins dans un contexte nouveau.

Tu dis aussi, dans ton autre lettre, que j’ai reçue, la lettre XXI, « de quelle sorte la vie

bienheureuse peut être dans la mémoire ». Je t’ai répondu en parlant de la mère. Mais

elle ne serait pas dans la mémoire s’il n’y avait eu séparation de cette vie

bienheureuse. La séparation est bien utile et de toute façon obligatoire, non de par la

loi humaine mais de par la loi biologique. Le corps de chaque individu doit s’en aller

chercher sa subsistance, qu’elle soit sous forme de nourriture au sens premier que de

nourriture au sens général, nourriture d’idée, de pensée de sentiments.

Il y a d’ailleurs abus en accordant au seul père le rôle séparateur. C’est toute la

société dans laquelle le corps se déplace, entre en contact, est pris en charge, est

abandonné, qui a ce rôle séparateur. Il y a des groupes humains où le père n’a pas le

rôle de la civilisation familiale restreinte, et pourtant le petit d’humain devient

humain. Le patriarcat est surtout issu d’une civilisation rurale capable d’accumuler

des richesses qui vont se concentrer autour de l’activité d’une famille patriarcale

laquelle va transmettre ce principe d’accumulation privée jusqu’à nous ; et jusqu’à ce

que l’accumulation privée devienne un obstacle à la vie humaine. La cité, c’est autre

chose. Il faut que l’humain voie un peu plus loin que sa lignée et la composition du

moment de sa lignée. Il y a tout un tas d’activités variées qu’il faut mettre en

cohérence et la lignée y participe dans l’organisation de la cité. C’est la « culture de

la cité » et plus la « culture de l’agriculture, rurale » qui devient l’élément moteur de

la civilisation, de l’évolution vers plus de sécurité, de continuité. Hélas,

l’accumulation privée est quelque peu incohérente par rapport aux besoins généraux

de la cité.

Tu sais, Augustin lorsque tu dis dans ta dernière lettre reçue, la XXIIème, « la

félicité consiste dans la véritable joie qui ne se trouve qu’en Dieu », il y a du vrai.

Dieu c’est quand même ce qui symbolise aussi tout ce que l’humain est capable

d’imaginer de valeur humaine. Je sais que tu ne m’en voudras pas si je rends ce dieu

humain, si j’en fais cette accumulation humaine de sentiments aspirant à la douceur.

Tu sais aussi que l’humain utilise tout pour satisfaire ses envies. C’est au nom de

dieu, de cette recherche de bonheur que des groupes déclarent les guerres. Tu as

compris qu’à seize siècles de distance, c’est en Marxiste et humaniste que je te

réponds. Cher Augustin, tu sais bien que « au nom de Dieu » c’est aussi « au nom de

la mère », et de Marie, entre autres mères. Et si la mère est méprisée ou si seulement

son être de mère est, devient, second parce que c’est l’accumulation privée qui

devient la préoccupation familiale, que devient dieu ? Si Le petit enfant apprend dès

la séparation que cette séparation est définitive et qu’il ne retrouvera plus la mère

dans la société, mais la séparation, rien que la séparation…il se passe ce qu’il se

passe dans notre réalité. La société ce doit aussi être la mère, la société ce doit être la

séparation et la fusion. Le je et le nous. Nous aussi, communistes, comme les

chrétiens, nous n’avons pas su éviter que nos églises laïques ne répondent

égoïstement. D’aucuns pensent que sans nous cet égoïsme aurait été moins farouche,

sans les chrétiens et sans les communistes. C’est sans compter qu’un individu doit

assurer sa propre survie dans sa propre espèce et que s’il n’a pas conscience qu’il

l’assure mieux collectivement et dans la douceur, il essaiera toujours de tirer son

épingle du jeu.

En fait, il faut que l’égoïsme ne marche plus du tout, qu’il fasse définitivement

faillite, pour que l’individu se tourne vers le collectif. La faiblesse des autres c'est

aussi notre faiblesse, en tout cas la mienne à moi aussi, malgré cet espoir de vie,

comme tous les humains qui se passionnent pour l’humain: plaisir d'intervenir avec

nos valeurs humaines, précaires mais motivantes, douleur malgré tout de savoir qu'il

n'y a aucun espoir que se concrétise en une vie tout ce que le cerveau du moment peut

imaginer de bonheur...et finalement enthousiasme dans les "moments forts" de la vie

sociale et personnelle...

J'aurais voulu communiquer cela à mes enfants, comme toi au tien, mais peut-être

l'ai-je fait (pas tout seul !) et sans doute leur faudra-t-il une vie pour que ça mature. Et

puis un autre bonheur : tout ce qui a existé, existe et existera laissera la trace de son

existence et sachant cela, on vit à la fois dans le passé et le futur en vivant le présent.

Tu appelles ça la résurrection, mais ne la limitons pas à notre petite personne, ça la

rend elle aussi bien petite : et finalement en faisant cela, ne vivons-nous pas plus mal

notre présent ? On ne le sait pas, ce qu'on sait c'est l'effort que l'on fait soi-même et

cette quête du plaisir de vivre, même quand ça va moins bien...

Certains, pour ne pas dire nous tous, cherchons, avec raison, les moyens financiers

collectifs pour réaliser cette aspiration collective. Mais Que ferons-nous de ces

financements et de ces libertés sans cette question : comment produire, quelle

technique utiliser, comment l'utiliser, comment la production et les choix faits

répondront aux aspirations humaines. Ça c'est l'autre bout, totalement imbriqué dans

le premier. Que ferais-tu sans ton écritoire, ta maison, tes repas ?

L' "économisme" comme le "spiritualisme" ce sont deux formes d'approche

unilatérale d'un objet d'étude et d'action.

Vois-tu cher Augustin, dans mon époque, mon temps, on essaie comme toi de

comprendre. Mais certaines choses nous rebutent, certains efforts nous sont

particulièrement pénibles. Par exemple Lire Marx ou les mathématiques. Marx c’est

un humain de mon temps qui a exprimé un courant de pensée qui s’est développé,

puis a été utilisé pour des atrocités, dans un immense conflit humain. Ce courant de

pensée redevient aujourd’hui, comme pour les chrétiens idéalistes, un sujet d’espoir.

Marx est "rasoir" parce dans une société de contrainte, l'utile est contrainte, usage de

soi par les autres, et peu ou pas d'initiative pour l'individu. Donc l’utile est « rasoir »,

et c’est un problème que de le faire devenir plaisant.

C'est pour cela que je te parlerai des "Temps modernes". Il est plus facile de se faire

comprendre avec le sourire et avec l’émotion. Les "Temps modernes", c’est de

Charlie Chaplin: portrait des moyens de production, des forces productives, de Quoi

Faire si demain nous avons ces financements et ces gouvernements et ces libertés que

nous voulons. On est encore dans le NON sans trop se préoccuper de la suite.

Compte-t-on gérer comme à la Libération (de la France et d’ailleurs après

l’occupation Nazi), ce qui était merveilleux à la libération, mais les forces

productives ont extraordinairement changé, hommes et techniques. Mais chaque

chose en son temps ?

Par exemple, dans un débat de mon « Eglise laïque » sur la condition féminine, les

humains mâles rejoignent les femmes qui refusent de placer au devant des

préoccupations la question du travail, pensant que procéder ainsi fait passer au second

plan le comportement machiste dans tout les comportements, familiaux...., et tous les

comportements de la société. Mais voilà, pour un marxiste, l'activité et le lieu où

l'humain produit ce dont il a besoin pour vivre, déterminent les rapports sociaux.

Changer les rapports familiaux est donc une préoccupation particulière, qui demande

une action et une réflexion spécifiques, mais totalement liées à la question du

travail...

Peut-être suis-je déformé par mes propres sujets d'étude et d'écriture...et je crois que

tu l’as été aussi !

J'ai l'impression que l'évocation du patriarcat comme élément qui nous imbibe tous,

inconsciemment gêne les « fidèles de mon église » et de la tienne.

Il nous faut passer de la négation, à la négation de la négation....et nous n'en sommes

souvent qu'au premier terme : négation.

Il faut, Augustin, que je te parle du capital et du travail :

Dans tout acte humain, dans le travail comme dans toute activité, l’individu interroge

ses propres valeurs. Il y trouve les motivations de ses actions. Mais cette diversité

positive se dissout dans la valeur fétiche de l’accumulation privée, laquelle met au

second plan la cohérence d’ensemble de la cité. Ignorer cela c’est aussi un effet de

cette valeur fétiche.

Aujourd’hui où s’amplifient les révoltes (souviens toi encore de Salvien et des

Bagaudes), fièvres d’une maladie à laquelle le corps social réagit, jetons un regard sur

nos actes, pour les poursuivre et leur donner d’amples objectifs. Le « retour de nos

actes », c’est l’équivalent du « retour » pour le chanteur, qui lui permet, en

s’entendant chanter, de chanter juste, de chanter tout court.

Ce « retour de nos actes », ce regard qui nous permet de les voir de plus loin, de plus

haut, collectivement, c’est ce dont nous avons besoin pour nous voir agir en

conscience du monde tel qu’il est et tel que nous pourrions le vouloir et le faire.

Le capitalisme se transforme. Un fruit peut devenir pousse de végétal puis arbre. La

transformation se fait effectivement à l’intérieur du capitalisme, stade ultime de la

société marchande, et en particulier elle se fait dans le marché. Le marché, s'il

fonctionne sur la base des dominations établies, il n'en est pas moins un échange,

inégal, mais un échange. La bataille pour le pouvoir d'achat, pour l'échange équitable

avec le Sud et à l'intérieur du Nord...etc., sont des éléments parmi les multiples qui

indiquent la maturation du fruit. Mais rien ne dit aussi que le fruit ne pourrira pas, ni

que la pousse deviendra un arbre....Un des éléments de la maturation, c'est nous,

alors.......

Les débats politiques ont besoin de prendre en compte cette dimension, c'est-à-dire la

dimension philosophique, qui ne rendra pas pour cela le débat éthéré, mais le

dégagera des opérations politiciennes que nous concocte sans cesse l’élite dominante

du capital. La dimension philosophique du débat peut être populaire tant est que

nous voulions la rendre populaire.

Tu l’as fait, toi, Augustin, et c’est une de choses qui a donné cette beauté et cette

expansion à tes idées.

Il n'y a pas de beauté en soi, mais des rapports humains aux objets qui répondent à

un, des, besoins humains et les réminiscences qu'elles induisent sur tous les regards

et tous les actes.

Pour l'humain, Il n'y a pas d'utilité sans sentiments ni de sentiments sans utilité (on

peut rendre cette phrase négative, évidemment). C'est ça notre regard en retour sur

nous-mêmes sur lequel nous avons à faire tant de progrès. Car la domination et

l'exploitation nous privent en grande partie de ce regard au profit d'un individualisme

au regard très court....

Augustin, je vois (une fois de plus avec ton envoi) à quel point toi et moi oscillons

entre une vision généreuse et une vision atroce de l'humain, tout en étant conscient de

cette "oscillation".

Nous essayons de "tenir les deux bouts" :

-voir cet individu de cette espèce, dans sa réalité matérielle, toute sa réalité de son

corps, son cerveau, leur unité cohérente.

-ET simultanément, voir ce qu'il pense de lui et ses sentiments sur lui-même qui font

partie de son activité.

Je constate dans les débats de mon église laïque une tendance contraire qui nous fait

OU décider en fonction du rationnel connu et oublier l'énigmatique du comportement

et devenir humain, OU passer à tout le contraire, sans cohérence. L'exemple de

l'influence actuelle dans mon église laïque, que j'estime et dont le travail est utile,

s’illustre, sauf erreur de ma part, dans la deuxième phase de ce balancement sans en

avoir conscience.

J’ai grande compassion des humains et ainsi de moi-même. Leur fragilité, leur

précarité, leur incohérence, alors que je vois cette merveille de leur corps, si cohérent

pour se maintenir en vie.

Augustin, il y a une différence entre ton temps et aujourd’hui : nous sommes entré

dans le temps où les techniques, les moyens de production pourraient donner à tous le

temps libre dont tu as disposé, toi. Mais pour le moment cette possibilité n’est utilisée

que par une partie des humains, les autres en sont privés. L’organisation de la cité, est

dominée, encore, par un groupe qui comme de ton temps et de celui de Salvien,

provoque par sa cupidité, un énorme gaspillage du travail humain.

Je te dis tout cela avec importance tout en sachant que si je parle à la première

personne, comme toi, « je n’ai rien que je n’ai reçu », des autres, ces humains avec

lesquels je fais un tout.

Il nous faudra un humoriste à la Chaplin pour nous faire redescendre sur terre....

Augustin, à bientôt.

 

Céphas 24 avril 2006

 

Ce que j’ai découvert, et rien d’autre

14mai10 003Cher Pierrot,

 

J’ai eu connaissance de ta correspondance avec Augustin.

Ce n’est pas l’effet d’une indiscrétion mais de l’amitié que nous te portons.

 

Apprendre, comprendre, c’est « se dire ». Ce que tu te dis par rapports à mes écrits

montre que tu commences à comprendre ce que je voulais dire.

Mais méfie-toi ; temps de travail moyen socialement nécessaire, baisse

tendancielle du taux de profit, c’est une étude de ma part du capitalisme anglais

du XIX°. Ensuite, l’organisation de ton cerveau, ses processus et

ceux qui étaient les miens, est différente et donc tes capacités aussi.

Ce n’est pas offensant que de dire cela. Cela est vrai pour toi en tant

qu’individu mais aussi c’est vrai pour la capacité de perception du moment,

de votre moment historique, ce qui ajoute à ta propre difficulté : l’apparence

des choses voile encore plus la réalité, à la mesure de la puissance

des moyens techniques employés. La réalité elle-même est plus touffue,

plus complexe, son unité moins évidente, votre intégration au système plus prégnante.

 

Tu as vu, je crois, que malgré la spécificité de mon étude, les

prévisions concernant le développement du capitalisme, la poursuite de

sa mondialisation et ses effets sur les salaires, la survaleur, la surpopulation

relative se sont confirmées ; spécificité concernant les différences relatives de

situations sociale, économique, politique, idéelle ; malgré le différences « tout court ».

 

Tu crains d’être quelquefois une « mouche du coche » par rapport à tes

commentaires sur mon travail et celui d’Yves S. Pour éviter cela, il

te faut plus de sens de la mesure, plus de patience, sans perdre ta spontanéité.

D’ailleurs il faut que tu considères que mes écrits sont une « réflexion à

haute voix ». C’est pour cela que je n’ai pas corrigé mes textes précédents

au fur et à mesure, à l’exception du livre I du capital pour l’édition

française en particulier. Je n’avais pas le temps de le faire et ce n’est pas

mon caractère de refaire sans cesse exactement le même chemin, cela me

provoque un ennui profond, du moins au départ et dans l’idée de le faire. Mais

il est vrai qu’une fois commencé un travail de correction, on peut créer

aussi du nouveau. Cette réflexion « à haute voix » par l’écriture « à plume déliée », me

 

permettait de reprendre un raisonnement dans sa totalité afin de ne pas

reproduire les mêmes insuffisances, ou plus, les mêmes erreurs, le

dé-normaliser, le re-normaliser, à chaque nouvelle rédaction. Mais finalement,

sur l’essentiel, je me suis retrouvé avec moi-même et avec une poursuite des

concepts au point où je les avais ébauchés ou laissé à l’étape précédente,

et des généralisations abstraites à reformuler.

 

Cher Pierrot, ne te prends pas au sérieux mais travaille sérieusement. Mets un peu

d’humour dans ta cuisine intellectuelle, et tout ira bien, ou du moins le

mieux possible, pour toi et pour les autres. N’oublie pas que toi-même,

comme Augustin et moi-même, nous ne sommes que les héritiers

de ce que nous avons à transformer et que nous devons prendre soin de ne

pas nous approprier un héritage qui appartient à tous, ni de le gaspiller au

détriment des générations futures. Transformer n’est pas détruire. Le mal

n’existe pas en soi, la tendance à le croire est notre plus grande difficulté

et notre plus grand ennemi pour survivre aux nécessités.

 

Ton idée de m’associer à Schubert me plait. Pour faire une caricature à la Daumier,

Beethoven ce serait la violence et la tendresse, Schubert la puissance et la douceur.

Je crois que tout ça m’a manqué un peu aussi, bien que je ne puisse pas dire

que j’ai manqué ni de puissance ni de tendresse. Ton aspiration au « Schubertisme »,

c’est une demande de plus grande maîtrise de soi-même, essaie d’y répondre.

 

J’étais bien un produit de la révolution bourgeoise, française en

particulier ; ceci dans une Allemagne en retard sur ce mouvement et qui

puisait dans la recherche l’énergie qu’elle ne pouvait pas mettre

dans la « transformation immédiate ». Cette forme de pensée, j’en ai trouvé

avec Friedrich un champ d’application idéal en Angleterre avec le capitalisme

et le développement des forces productives les plus avancées en quantité.

Mais mon intuition me disait, nous disait, que le champ « vierge » de la

population immigrée de l’Amérique du Nord allait donner des possibilités

incroyablement plus vastes, ce qui s’est produit. Cependant, plus le capital

se développe rapidement, plus il développe ses contradictions et les met en

œuvre dans l’ensemble du globe et de l’humanité.

 

Cher Pierrot, je te souhaite d’être entendu, modestement, sans orgueil ni

médiatisation à la mode. C’est ainsi que tu seras le plus heureux et le plus utile,

dans ton petit travail et le déroulement de tes jours.

 

Je t’adresse mes amitiés et mes encouragements. Embrasse Chiara et

tes enfants de notre part.

 

Karl, Londres, le 5 février 2008

 

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Copie de 100 1686C’était notre

copain,

 

c’était notre ami.

 

  LETTRE A GEORGES: ici

 

Et c’était mon copain, mon ami.

D’une grande délicatesse, d’un esprit aigu d’analyse, d’un grand engagement.

 

Tout cela au service de l’utilité à la société, à ses amis, une utilité au-delà du clan, ouverte à tous et pour cela militante. Dans sa ville, sa région, son pays, dans les forums sociaux internationaux.

 

Souvent quand nous nous rencontrions, il me disait : as-tu suivi tel évènement, est-tu au courant de ce débat sur telle ou telle action, telle ou telle idée ? As-tu lu cet article de "l'Huma", suivi cette réunion de tel ou tel syndicat, parti, association ?

 

Malgré de graves problèmes de santé, il ne rechignait ni au travail intellectuel, ni aux responsabilités, ni aux « corvées » militantes peu motivantes pour d’autres. Parce  qu’il se voulait utile.

 

C’est peut-être parce que sa santé ne lui permettait pas de faire tout ce qu’il voulait, tout ce qu’il pensait indispensable, qu’il se sentait quelquefois inutile et qu’un pessimisme l’habitait sans pourtant entamer ses idéaux, ses raisons d’être, sans entamer sa lucidité, au contraire en l’aiguisant.

 

Ce pessimisme était aussi de l’espoir : le ressenti profond et affolé de la dureté de la vie et des humains et la volonté de l’adoucir, par la solidarité, l’amitié.

 

Sans que ce pessimisme se reporte dans son comportement sur les autres, sans altérer son affection généreuse, ni ce petit sourire doux ou ironique qui l’animait et rompait sa mélancolie, sa tristesse, et même son angoisse, quand il se sentait en accord dans l’action avec un autre, avec les autres.

 

Des peuples pensent qu’on meurt deux fois. Lors de sa mort biologique, et lors de la disparition de tous ceux qui vous ont connu. Ami apparemment effacé, Georges Pedrono a pourtant marqué les collectifs et les personnes qu’il a côtoyés et à travers eux, sa trace sera indélébile, au-delà de leurs disparitions.

 

Dans le processus humain, l’action sociale, au sens de l’action en profondeur sur la marche de la société, aujourd’hui dévalorisée, quelquefois méprisée, toujours détournée par les grands intérêts privés, mais toutefois essentielle, marque indéfiniment ce processus de la nature qu’est la pensée humaine en mouvement.

 

Nous ne sommes que cette organisation de la matière qui permet à la nature d’avoir conscience d’elle-même, conscience qui progresse chaque fois que nous assurons la santé de ce processus.

 

Georges, ne démentirait pas cette vision car il la partageait profondément, et cela est notre consolation.

 

Pierrot, 1er août 2010

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2 lettres pour anticiper :

http://www.pierreassante.fr/dossier/2_lettres_Rappel.pdf

 

28 octobre 2007

Nous enseignons et acceptons d’être enseignés à partir du moment où nous avons compris la nécessité ou l’utilité de la « chose enseignée », ou que nous avons déjà au moins « l’intuition » de cette utilité....

(Suite sur le lien ci-dessus)

 

18 mai 2007

 Nous entrons dans une période de destruction très accélérée des rapports sociaux. Nicolas Sarkozy et son équipe ne sont que la pointe avancée de cette entreprise qui a commencé de longue date. Cette équipe pense qu’en régentant sur la base du libéralisme économique, ils vont pouvoir relancer une cohésion sociale productrice de richesses. Mais c’est une conviction et non un enrégimentement qui procure une cohérence à la société.....

(Suite sur le lien ci-dessus)

 



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15 mai 2010 6 15 /05 /mai /2010 08:43

Textes philosophiques sur le capital.

 

(Cliquer sous les titres)

  

Le caractère fétiche de la marchandise et son secret :

http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-I-4.htm

 

Contribution à la critique de l’économie politique, introduction :

http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/contribution_critique_eco_pol/critique_eco_pol.doc#Livre_2_introduction

Le Capital, Préface de la première édition :

http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-pref.htm

 

Critique de l’économie politique, Préface :

http://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm

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15 mai 2010 6 15 /05 /mai /2010 08:04
………...…et j’écrivais cette romance
en octobre 1967 sans savoir que…….
Geste Premier

 

.Quand les nuages se sont fait plus lourds, les oiseaux ont crié de solitude.

 

.Les platanes n’avaient plus d’ombre, les escaliers étaient déserts.

 

.La pluie s’est mise à tomber.

 

.Le vent pousse sur la place le ronflement des voitures.

.Le vent rassemble les éclats et l’encerclement des collines.

.Il divise sur la mer le crépitement des gouttes d’eau.

 

.Je cours vers le port, je traverse à la hâte les flaques fraîches et hérissées.

.Je m’assois devant un café.

 

.La ville s’abrite de la foudre.

.Elle s’est installé sous les rocs que les bateaux de haute mer distinguent assis et tranquilles.

 

.Je frissonne. Les claquements et les échos étouffent le bruit des pas.

.Une femme jeune vient s’installer tout près.

Elle ébroue sa chevelure. L’homme qui l’accompagne colle ses mains à sa veste mouillée.

 

 

.Ce sont les gestes coléreux de l’orage, les gestes d’un orchestre.

Mais le désaccord semble d’une grande douceur.

 

- Ce n’est pas possible.

 

.La conversation s’écoule.

 

- Je te le promets.

 

.Il allume les deux cigarettes en tremblant.

 

- Tu en es bien sûre ?

- Lorsque mes parents se sont mariés, eux ne l’ont pas compris. C’était la guerre. Ils n’avaient peut-être pas grand chose à perdre.

- Et tu penses pouvoir le gagner ?

 

.J’écoute sans tout distinguer.

 

.C’est joli cette pluie sur les mots, cette peau et ces joues qu’ils caressent.

.C’est joli cette eau qui ressemble peu à peu à des larmes.

 

- Tu ne veux donc pas que je sois une femme libre ? Toi tu peux le comprendre.

 

.Il le comprend. Son sourire est légèrement crispé. Il continue à serrer les deux petites mains. Elles ont de la volonté ces deux petites mains-là. Tout est si vague. La rue brille et chancelle. Tchoc tchoc tchoc. Un bateau revient. Un petit bateau libre et deux hommes courbés par le froid.

 

.C’est si étrange de choisir sa vie. Les deux pêcheurs ont l’air si habituel qu’on les croirait toujours ensemble. Ils ont dû partir dans la nuit. Les étoiles rayaient l’air. La mer apportait un bon souffle.

 

.L’homme se détend. Il contemple la petite d’un air vaincu et allume à nouveau sa cigarette.

.Il a l’impression de parler comme son père.

.En même temps il se sent tout petit.
.Une odeur de salle à manger lui revient, une odeur de vacances.

 

- Ma mère aussi va être triste de ne plus te voir. Quand tu reviendras ce sera le printemps. Tout jeune je prenais garde au retour du printemps. Je surveillais la vie des flaques et des mares, les petits tas de terre des insectes. C’était tellement simple de vivre. Maintenant je ne regarde plus rien. Tu vois, je suis resté bien enfant. En ce moment je pense à ma mère et j’ai envie de pleurer.

 

Il est amer, il est amoureux, il la serre.

.Il embrasse l’eau sur ses cheveux.

 

LE SECOND

 

.La porte racle le sol ; il faut la soulever ; à peine poussée cela suffit à la lumière.

 

.Les chaises sont froides ; je m’assois sur mes mains ; leur sang garrotté, elles ne peuvent s’éveiller.

.L’odeur du gaz, la pulsion de la flamme, le sommeil hypnotisent mon courage.

 

.Une journée de plus.

 

.Cette pièce le matin est vide, vide. La chaleur s’y installe. Dans la maison tout le monde se rendort ; personne à qui parler.

 

.En partant je suis surpris par un calme inhabituel. Il fait jour comme jamais. Il fait de nouveau jour.

 

.On dit que la vie est faite de portes à franchir.

.Celles de ma maison ; celles de son travail.

 

.Elles s’ouvrent sur un long couloir dallé vert et blanc. Sitôt franchies, je retrouve ceux qui m’entourent ; ils arrivent un à un serrent ma main, me croisent silencieusement.

.Au bout d’une heure, le bâtiment entier vibre et résonne de leur présence.

.La mienne est semblable. Au-delà des baies vitrées s'étendent la route entre les H.L.M., le réservoir d'eau à sept kilomètres, la mer qui est derrière, que l’on voit si peu souvent.

 

.Ce que je préfère dans ce travail, c’est la matière à façonner, à construire, à prolonger de soi selon la forme et la vie que l’on a conçues ; c’est imaginer les mouvements que l’on provoque : la circulation électrique ; un rayon de lumière dont il n’y a pas de quoi être blasé.

 

.A force d’étroitesse, de petites amours, j’ai acquis une grande ambition ; celle de parler aux hommes ; celle d’être écouté.

.Des projets manqués, une sensibilité solitaire, cela donne du courage ; et l’on utilise toujours le courage ; il n’y a qu’à voir autour de soi.

 

.Daniel rit de tout cela. Il plisse ses yeux étroits et me regarde longuement.

.Certains jours de congé nous partons sac au dos pour marcher à travers les collines

.Marina nous accompagne, elle ne le quitte jamais.
.Lorsqu’ils sont fatigués, ils s’assoient l’un appuyé à l’autre, leurs cheveux mêlés aux broussailles et au soleil ; je pense à d’autres voix, d’autres visages.

.Cet espace autour d’eux est comme une maison qu’ils ont partagée sans moi.

.Tel un passant, je chante avec eux une chanson d’amour que le silence répand dans le vallon d’un escarpement à l’autre.

- Lili viendra bientôt, disent-ils et je rêve comme un gros chien sans maître à Lili qui n’est pas là..

 

Connaissez-vous les marmites de géant ? Elles sont taillées dans le calcaire par les eaux tourbillonnantes et pourtant elles sont telles que je les ai vues pour la première fois dans mon enfance. Parler de ce temps-là, c’est se rappeler les Jeudi où dans mon demi-sommeil des pas terrifiants claquaient derrière les murs de ma chambre : mon père affûtait tout simplement son rasoir. Qu’il est doux à présent le souvenir de ce bruit-là.

 

Dans le corridor vert et blanc, poussant chariots et appareils, nous reparlons de cela, Daniel et moi.

Nous parlons aussi de feuilles vertes ou roses, des circulaires nous annonçant 2%. Cette vie nous semble une dégringolade de paperasses et d’ennui. Nous finissons par en faire une navigation aveugle entre des murs sans fin.

.Chaque détail nous est familier. Chaque détail existe, mais nous n’en savons pas la raison, ou si peu.

.Je feuillette les portes de la nuit. Elles aussi, grincent d’une façon effrayante. Pour vaincre cette peur, il faut être deux, la main dans la main.

 

Mais cette solution unique est une sorte d’inconscience. Il faut être nombreux, organiser l’ombre et les éclairs.

 

GESTE TROISIEME

 

.L’air devient une matière rude et compacte qu’il faut tailler de son corps. Tel est l’effet du mistral. Cette mer vive me contourne, me bouscule, juge mes réactions et m’attaque soudain lorsque je suis en équilibre sur un pied.

.J’aime assez décrire avec un peu d’imagination cette vie extérieure qui me ballotte.

.A présent il me semble être seul dans la ville à percevoir ce vent. Il me fait hâter le pas d’une longue bourrade et m’abandonne soudain au milieu d’une ruelle où je me traîne à sa rencontre jusqu’au carrefour.

 

.Là tu m’attends. Tes cheveux battent ta nuque et ton front, ajoutent à la gravité de ton visage.

.Je suis heureux de cette sorte de colère commune, mais ce sentiment dure peu car tu ne souris presque pas.

.Au fil des jours, tes yeux s’assombrissent ; je les regarde aujourd’hui avec inquiétude.

 

.Tu parles de choses banales et j’en oublie le vent. Je me retiens de t’embrasser pour épier ton allure, pour essayer de savoir s’il existe quelque chose que tes paroles ne disent pas.

 

Il s’est passé des semaines où le monde s’étiolait autour de nous. Les horizons fuyaient jusqu’à nos lèvres. Tout allait de tes yeux à mes yeux.

.Souviens-toi. Nous étions un jour sur une cime verdoyante. La forêt entre les vals se faisait plus belle et nous avions pour elle des regards de doux seigneurs.
.Il en était ainsi chaque fois que nous daignions sourire à cet univers ; ensuite nous rentrions à nouveau dans notre abri jusqu’à la prochaine halte.

.Parmi les puériles notes de mon carnet, à cette époque, je retrouve celle-ci : la vie est une cage, je ne peux qu’y chanter.

 

.Ce souvenir t’arrache enfin un sourire. La chaleur est accablante. Tout en marchant, je caresse ton bras, je m’assure de ta présence.

.La poussière qui tourbillonne sent la vieille ville. Elle sent aussi les marchés et les années de piétinement. De ce temps, les paysans descendaient des jas et des mas pour apporter les fromages et les récoltes.

.Combien cet amas de pierre et de grisaille, cette cohue anonyme devaient leur paraître plus secs et plus lancinants que leur misérable colline.
.Pour comprendre cela il faut avoir vu ces puits de fond qui ruissellent ou s’épanouissent dans l’ombre des graviers. Ce ne sont pas des puits de désert, mais ils sont aussi chers. Ils ont la même rareté et ils expliquent aussi la végétation grouillante des torrents desséchés.

 

.Raconter cela n’est rien. C’est fuir devant une réalité imperceptible et lancinante et je m’en aperçois soudain.

.A force  de goûter une liberté sitôt donnée sitôt reprise, il devient difficile de chanter.

 

.Le vent s’apaise soudain. Peu à peu monte en moi le besoin de ton corps…

…Cette chambre est triste. Il me reste pourtant une confiance sourde. Ce qui la révèle, c’est ta chaleur, ce sont tes lèvres. Tout n’est pas si simple. Il y a ce que je crois avec toi pour lequel il faut vivre avant que les jours y mettent un point.

 

L’ULTIME OU

INDEFINIMENT RENOUVELÉ

 

.C’est la nuit qui est autour de toi. C’est le calme de ton corps que tu détends, les yeux fermés.
.C’est le chaud apaisement de sa chair.

C’est le souffle de la vie que vous reprenez après l’enlacement.

.C’est le temps qui reprend sa place.

.C’est le temps comme une sourde machine et ce monde extérieur à vous.

 

.Ce matin la neige barrait la porte. Elle est sortie en écrasant la neige sous ses pas. Tu l’as regardée comme pour la première fois. Toi-même tu ne t’es plus reconnu.

.C’est drôle ce même cœur et ce corps différent. Une branche te frôle et une poussière blanche s’envole. Dans ce froid, dans ce paysage, rien n’est plus pareil.

 

.Le soleil se couche dans la neige, le soleil et toi. L’été on se couche dans la mer et l’on vit avec l’eau, vague après vague, on est seul ou deux, on se serre dans cette mer.
.C’est là que vous êtes nés, entre la mer, entre les roches profondes qui s’enfoncent dans la mer, entre les galets et le sable d’où l’onde tiède plonge et prolonge ses tapis sous-marins de vie ; entre la mer et la ville et puis entre deux sommets de colline. La résine y est plus forte que le vent et l’on grimpe tout essoufflé, au milieu d’un monde vert et timide qui déchire la peau et fonce vers l’espace.

.Vous êtes nés là et de là une main suffit à recouvrir le monde.

 

.Aujourd’hui c’est une main blanche et froide qui est arrivée. Tu y caresse ton visage. Tout ce que l’espace amène à ton corps a la même odeur de fumée et de chaleur.

.La ville que tu ne vois pas, tu la connais ainsi à cet instant.

.Cela te déchire au plus profond de tes désirs, dans tout ce que la vie a gravé en toi d’envies et de blessures.

 

.Ensuite il y a la naissance renouvelée de ce que tu aimes parce que tu tiens tes enfants dans tes bras ; parce que tard dans la nuit c’est cette maison qui vous recouvre, elle et toi, tandis que la terre s’étend jusqu’à la mer recouverte de neige, jusque dans les rues tortueuses et les vieilles maisons où les vieux chantaient autrefois « veni d’ausir sus la colina un cant polit » ¹, je viens d’entendre sur la colline un chant joli

 

¹ Prononcer : véni d’aousì sœ la coulìnœ ün can poulì.

 

Assante Pierre.

Marseille, octobre 1967

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15 mai 2010 6 15 /05 /mai /2010 07:17

ECRIT en 1969. LES ARBRES.

 

20mai10-037.jpg

 

 leis aubres Les arbres



sur leur ligne de front

ne sont ni les plus vieux

ni ceux au bois épais

mais les plus pacifiques



restan

sus l'orle de resistencia

lei mai pacifics

e non lei mai vielhs

nimai lei pus lenhós


 


rien ne les sauve

ni le temps

ni leur dignité



sa dignitat

lei apara

tanpauc coma lo temps


j'ai souvent pensé leur force inépuisable

c'était sans compter

sur leur résignation



cresiáu

sa fòrça sensa fin

oblidèri

son resignament



leurs doigts ne sentent plus

sensa tocar son venguts sei dets


ils crient de ça de là

par gros temps

jusqu'à la limite

où plus un  n'est là pour répondre



 braman pron o pas pron

quand vèn la brefoniá

fins que tròban

pus degun per respòndre



 leur souffle gigantesque

l'un ajouté aux autres

éteint de mille meurtres

s'est tu



son alen gigant

 mudegèt

son estadas  murtrejadas

cada vòtz

qu'avián ensems



séparés

l'ombre tourne autour d'eux



 son ombra vira au sòu

ambe lo solèu

sensa tocar un autre



à leur pied

le vaste territoire

où les racines ne s'étreignent pas



 rasigas

deseparadas

espaci

pus ges de pareu



 l'eau n'a plus tout son sens

pour ceux qui restent en cage
 

a de que sèrve l'aiga

per aquelei  engabiats



ils sont rocs à tout jamais

et dispersent les airs



son ròc per sempre

esparpalhan l'aire



hauts et pétrifiés
les arbres se taisent



en pierre dorée

en soleil de résine

en gouttes silencieuses

en poussière

en poussière

la terre gardera leur sang



venguts de pèira auta

calan lei aubres

daurada de solèu

ambre sensa vida

son surgent de paraula

agotèt

pòussa de sang

secada en terra



un jour

qu'il me reste encor mes mains

pour caresser leur corps



voli

sus sa fusta

la doçor de mei mans



les arbres et les enfants des arbres

sont morts



et la pluie ruisselle

quelquefois

sur leur cadavre de pierre





lei aubres sei fius e sei felens

son mòrts


la plueja

regoleja

quauquei fes

sus son cadabre de peire

                                                                      Ecrit en 1969


Publié dans l'ARMANAC de MESCLUM 2007

Almanach lié à la page en occitan de La Marseillaise

avec lexique Occitan-français

 

*****************

RECUEIL N°2-2019 : RÉVOLUTION. Tout commence quand la philo….

https://pierreassante.fr/dossier/RECUEIL_N2_MAI_2019.pdf

*******

L’HUMANITÉ ENTRE DANS SON ADOLESCENCE 

RECUEIL JANVIER.FEVRIER.MARS.AVRIL. REMANIÉ AU FUR ET A MESURE DE SON ELABORATION.

SUR CE LIEN : 

HTTP://PIERRE.ASSANTE.OVER-BLOG.COM/2019/03/L-HUMANITE-ENTRE-ELLE-DANS-SON-ADOLESCENCE-RECUEIL-JANVIER-FEVRIER-MARS-2019-REMANIE.HTML

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14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 16:30

jan10 001CHOSES SIMPLES À RAPPELER

 

Dans le bouton il y a déjà la fleur et la graine. Dans la pâte il y a déjà le pain. Mais dans le blé sauvage il n’y a pas le pain. Entre les deux il y a la médiation humaine.

 

On comprend mieux le bouton quand on a vu la fleur.

 

L’abeille et le climat sont liés. Mais entre les deux il y a l’action humaine. Dans l’action humaine il y a les rapports de production.

 

Dans les rapports de production, il y a l’inversion des rapports de production, le capital. Dans le capital il y a l’inversion de l’objet de la production, celle de l’argent et non celle du produit.

 

L’homme se produit lui-même par son activité, et dans l’inversion des rapports de production il devient du capital, un produit indifférent à lui-même comme la marchandise est indifférente à sa valeur d’usage. Pour survivre dans cette inversion l’homme doit marcher lui-même sur la tête.

 

Remettre les choses sur leurs pieds est donc une tâche à la fois pratique et à la fois philosophique sans laquelle la conscience en mouvement de la nature qu’est l’homme se met à marcher sur la tête et  vient s’opposer à son développement.

 

Les « Manuscrits de 1844 » ont été écrits à Paris, et non dans les conditions d’observation du capitalisme avancé de l’Angleterre. Mais comme le bouton, ils contiennent la fleur : « Das Kapital », la critique de l’économie politique comme outil pour transformer le monde et le remettre sur ses pieds et se développer en santé.

 

« Das Kapital » vient démontrer ce que les « Manuscrits de 1844 » affirmaient.

 

Il faut resituer les 150 ans du marxisme dans les 1.5 millions d’années, depuis que l’espèce humaine a entrepris de subvenir à ses besoins en transformant la nature par ses outils, les 10 000 ans de l’agriculture, les 5000 ans de la cité et de société marchande et de classe, les 300 ans du capitalisme-fleur. La crise se situe ainsi dans cette période ou les techniques de production-échange informationnalisées et mondialisées démultiplient et les capacités de cette production-échange, et les contradictions entre ces capacités nouvelles de production et l’inversion de l’échange.

 

VOIR : http://www.bdr13.pcf.fr/18-19-et-20-juin-2010.html

 

Pierre Assante, 13 mai 2010

 

Note : Ce qu’il y a de mécanique dans le concept « stalinien » de succession automatique des modes de production, ce n’est pas leur succession, mais la négation « simple » de l’unité du mode de production et de la conscience historique qu’il induit, dans la personne, les entités humaines,  et dans l’espèce.

La négation simple est une abstraction de l’abstraction qui fige la représentation du processus et donc écarte le non-su réel et limite le su, la conscience, à l’apparent.

On ne peut pas dire que cette méthode ne donne pas de résultats, mais elle conduit aux impasses dont elle a fixé elle-même les murs. C’est dans le non-su que se cache la négation de la négation, la résolution historique des processus, et donc les allers-retours simultanés et successifs entre l’expérimentation et le choix, que ce soit dans le domaine d’un champ ou dans la tentative de synthèse des champs, scientifiques ou-et sociaux.

La négation de la négation c’est la reconnaissance de la réalité de l’aliénation du producteur vis-à-vis de son produit, son processus vers la réappropriation de sa production qui va à chaque étape historique vers cette réappropriation, constituer le processus du « libre arbitre » marchand, bourgeois, dont le dépassement est le travail libre, l’activité humaine naturalisée, la nature humanisée. P.A.

 

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14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 15:57

 

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