Pierre Assante
Lettres
La jeune fille et la mort
Simone, mon Amie,
« On libère en soi de l’énergie. Mais sans cesse elle s’attache de nouveau.
Comment la libérer toute ? Il faut désirer que cela soit fait en nous. Le
désirer vraiment. Simplement le désirer, non pas tenter de l’accomplir.
Car toute tentative en ce sens est vaine et se paie cher. », disais-tu. Et tu
choisissais finalement d’accomplir. Et tu l’as payé cher.
Tu l’as payé cher, malgré cette immense lucidité des aveugles et des enfants qui
leur fait juger par le besoin de faire. « Ce qui est réel dans la perception et la
distingue du rêve, ce n’est pas les sensations, c’est la nécessité enveloppée des
sensations». Vouloir être utile et ne pas vouloir d’horizon. Vouloir être dans le
mouvement et l’éternité du moment. Sans moment. Refuser l’engagement taureau
aveugle et refuser l’indifférence animal égoïste : « D’autres efforts… sont
toujours utiles…sont accompagnés de l’attention continuellement
concentrée sur la distance entre ce qu’on est et ce qu’on aime »
« L’attention extrême est ce qui constitue dans l’homme la faculté
créatrice ». Comme ta petite soeur Camille Claudel, et ta grande soeur Eloïse et toutes tes soeurs inconnues à qui l’on a fait croire que ce n’était pas à elles de
dire, tu partages avec elle cette attention que le silence offre. Alain oui, mais le
silence en plus et la parole issue du silence, à distance de la reconnaissance.
« Le christianisme a voulu chercher une harmonie dans l’histoire. C’est le
germe de Hegel et de Marx. La notion d’histoire comme continuité dirigée
est chrétienne.
Il me semble qu’il y a peu d’idées plus complètement fausses. Chercher
l’harmonie dans le devenir, dans ce qui est le contraire de l’éternité.
Mauvaise union de contraires ». Même dans ton amour, à ton amour tu
refuses l’autorité. Pour lui donner tout sans qu’il ne te prenne rien. Pour t’offrir
dans l’acceptation absolue. Pour que ton don sache ses limites et sache son
infini: « Pourquoi la volonté de combattre un préjugé est-elle le signe
certain qu’on en est imprégné »
« Le poète produit le beau par l’attention fixée sur le réel. ». L’objet tourné
cent fois entre tes mains. Tu l’as vu avec tes yeux. Tu l’as vu avec les yeux des
autres. C’est parce que tu a voulu voir la multitude des visions que tu as choisi
la tienne, allant sans cesse du dehors au dedans de ta vision et du dedans au
dehors de ton amour. De ta vision-amour. J’entends en pensant à toi ce quatuor
de Frantz. Être capable de vivre avec les barbares, leur culture, sans rejeter la
tienne dans ce qu’elle a de non dominant, de ce à laquelle elle a accédé de plus
complexe, d’encore plus humain.
« Dans le domaine de l’intelligence, la vertu d’humilité n’est pas autre
chose que le pouvoir d’attention ». Tu as appelé l’humilité Weil. Sachant que
tout est aussi posture et que la posture devient nature et que nature est
infiniment attaquée par elle-même. Et qu’il y a tant de mouvement dans
l’immobilité : « Le rapport entre le corps et l’outil change dans
l’apprentissage. Il faut changer le rapport entre le corps et le monde ».
« A travers chaque sensation, sentir l’univers ». C’est ça ton amour. Ta
volonté a été de le sentir, qu’il te pénètre totalement, et que tu le pénètres
totalement. Cette fusion impossible c’est ton possible, ton choix. Un avenir
dans le présent, TON présent, parce que tu refuses l’avenir en tant que refus
vulgaire d’un présent mutilé d’avenir présent. Refuser d’accomplir pour
accomplir. Ton cerveau et ton corps, l’un inséparable de l’autre, parce qu’ils ne
sont pas l’un sans l’autre, parce qu’ils sont un tout inséparable, parce que les
imaginer autrement que ce tout, c’est les imaginer en dehors de leur lente
croissance, de leur lent mûrissement, de leur lent processus de transformation
permanente en quelque chose d’autre. Comme l’espèce qui est sans cesse autre
chose d’autre.
Ce que donne ta disparition c’est une présence infinie, une trace qui voudrait
grandir et qui peut grandir. Qui est immense et désespérée. Minuscule et
envahissante comme l’espoir, le désespoir, l’angoisse, la sérénité. Finalement le
souffle, le respirer, l’espace devant soi et l’attention dans l’espace. « On libère
en soi de l’énergie. Mais sans cesse elle s’attache de nouveau. Comment la
libérer toute ? Il faut désirer que cela soit fait en nous. Le désirer vraiment.
Simplement le désirer, non pas tenter de l’accomplir. Car toute tentative
en ce sens est vaine et se paie cher. »… dis-tu……
Pierrot
2 juillet 2006
Mon très Cher Augustin,
Mon très Cher Augustin,
Le courrier vient de m’apporter trois lettres. Ce sont les tiennes qui ont été
acheminées le même jour. Tu sais à quel point j’apprécie ton amitié. Etre en ta
présence et goûter les plaisirs de ta compagnie est une chose rare.
C’est pourquoi, j’ai une grande appréhension à t’avouer non pas mon désaccord avec
les propos de tes lettres, ce serait bien prétentieux, mais une façon de voir et d’être
dans la vie qui n’est pas la tienne, qui est ma différence.
Je sais que tu ne m’en voudras pas.
Je t’expose ma pensée sans détours, avec franchise, sachant qu’une pensée est
toujours précaire, mais que lorsqu’elle résout à peu près les problèmes quotidiens de
l’humain, elle a déjà beaucoup de valeur humaine.
Tu ne peux penser ce que tu penses que parce tu te trouves dans une situation
matérielle particulière. Tu as pu choisir entre la célébrité et l’isolement, la frénésie et
la méditation. Ce n’est pas le cas de tous. La plupart des humains sont contraints à un
état pour pouvoir vivre, survivre et tant bien que mal, quelquefois, se développer.
Notre ami commun, Salvien, par exemple, s’est à la fois dédié à Dieu mais est resté
pourtant dans la frénésie humaine pour ne pas s’éloigner de la condition humaine
commune, ordinaire. Sans cela, il n’aurait pu dénoncer cette maladie qui a miné
l’Empire, et qui l’a tué. Lorsqu’il défendait les Bagaudes, et vilipendait l’égoïsme qui
a ainsi privé de ressource les pauvres, la masse des citoyens et donc tué le travail qui
pouvait faire vivre notre société, il ne pouvait échapper à la frénésie. Il la subissait.
Mais toi-même en continuant d’écrire, ne te mets-tu pas en situation d’immodestie
vis-à-vis de Dieu et des hommes, et finalement ne te voues-tu pas à une tranquillité et
une intimité avec Dieu, égoïste, au moins en partie ?
Tu me dis, dans ta lettre XX que « chercher dieu, c’est chercher la vie
bienheureuse », et que « tous les hommes la désirant, il faut qu’ils en aient quelque
connaissance ».
Je suis en partie en désaccord, mais tout à fait d’accord sur l’idée qu’il faut qu’ils en
aient quelque connaissance.
Cette connaissance c’est celle du souvenir maternel. Oh ! Non un souvenir conscient,
mais une mémoire de cette fusion dans laquelle ils étaient totalement confondus avec
ce corps, corps maternel qui apaisait les souffrances de la faim et leur apprenait ainsi
et pour la vie le sentiment de douceur. La vie bienheureuse ne peut exister que s’il y a
vie et la vie est un mouvement dans laquelle les besoins se manifestent par des
douleurs, plus ou moins grandes, et des envies, plus ou moins grandes et leur
apaisement par les objets ordinaires d’apaisement.
Bien sûr, il ne s’agit plus des douleurs et des apaisements animaux. Nous avons
cultivé les sensations et les sentiments. Nous avons domestiqué en partie les douleurs.
Mais nous sommes capables de susciter les unes et les autres pour en éprouver
l’apaisement et le plaisir. Et tout cela en imaginant et en cultivant des valeurs. Ces
valeurs sont celles qui règlent les comportements normalisés et sans lesquels notre
vie en commun ne pourrait pas être. Et comme l’être humain ne peut résoudre ses
besoins qu’en commun, l’espèce humaine a universalisé ces valeurs. Elles sont
toutefois mouvantes parce que l’humain crée sans cesse des moyens nouveaux de
subvenir à ses besoins. Et puis il y a les moments et les individus qui enfreignent ces
valeurs. Les comportements sont aléatoires et l’individu ne trouve pas toujours dans
les valeurs la réponse à ses propres besoins.
Le Christ lui-même et Paul et Isaïe l’ont dit et l’ont fait : le Sabbat est fait pour
l’homme et non l’homme pour le Sabbat. De plus se sont les déviances à la loi qui
font justice aux valeurs essentielles. Il y a la loi et la foi, tu le sais bien, et moi je dirai
d’une autre façon : il y a la loi et la conviction. Un comportement peut être contraire
à la loi et répondre tout à fait à un besoin humain, individuel ou collectif. Et une loi
ne vit que par l’acceptation de la communauté. De même que le tyran ne peut exister
s’il n’a aucune fonction.
Enfin ce sont les tentatives d’agir autrement qui permettent de savoir et de voir ce qui
répond à ces besoins dans un contexte nouveau.
Tu dis aussi, dans ton autre lettre, que j’ai reçue, la lettre XXI, « de quelle sorte la vie
bienheureuse peut être dans la mémoire ». Je t’ai répondu en parlant de la mère. Mais
elle ne serait pas dans la mémoire s’il n’y avait eu séparation de cette vie
bienheureuse. La séparation est bien utile et de toute façon obligatoire, non de par la
loi humaine mais de par la loi biologique. Le corps de chaque individu doit s’en aller
chercher sa subsistance, qu’elle soit sous forme de nourriture au sens premier que de
nourriture au sens général, nourriture d’idée, de pensée de sentiments.
Il y a d’ailleurs abus en accordant au seul père le rôle séparateur. C’est toute la
société dans laquelle le corps se déplace, entre en contact, est pris en charge, est
abandonné, qui a ce rôle séparateur. Il y a des groupes humains où le père n’a pas le
rôle de la civilisation familiale restreinte, et pourtant le petit d’humain devient
humain. Le patriarcat est surtout issu d’une civilisation rurale capable d’accumuler
des richesses qui vont se concentrer autour de l’activité d’une famille patriarcale
laquelle va transmettre ce principe d’accumulation privée jusqu’à nous ; et jusqu’à ce
que l’accumulation privée devienne un obstacle à la vie humaine. La cité, c’est autre
chose. Il faut que l’humain voie un peu plus loin que sa lignée et la composition du
moment de sa lignée. Il y a tout un tas d’activités variées qu’il faut mettre en
cohérence et la lignée y participe dans l’organisation de la cité. C’est la « culture de
la cité » et plus la « culture de l’agriculture, rurale » qui devient l’élément moteur de
la civilisation, de l’évolution vers plus de sécurité, de continuité. Hélas,
l’accumulation privée est quelque peu incohérente par rapport aux besoins généraux
de la cité.
Tu sais, Augustin lorsque tu dis dans ta dernière lettre reçue, la XXIIème, « la
félicité consiste dans la véritable joie qui ne se trouve qu’en Dieu », il y a du vrai.
Dieu c’est quand même ce qui symbolise aussi tout ce que l’humain est capable
d’imaginer de valeur humaine. Je sais que tu ne m’en voudras pas si je rends ce dieu
humain, si j’en fais cette accumulation humaine de sentiments aspirant à la douceur.
Tu sais aussi que l’humain utilise tout pour satisfaire ses envies. C’est au nom de
dieu, de cette recherche de bonheur que des groupes déclarent les guerres. Tu as
compris qu’à seize siècles de distance, c’est en Marxiste et humaniste que je te
réponds. Cher Augustin, tu sais bien que « au nom de Dieu » c’est aussi « au nom de
la mère », et de Marie, entre autres mères. Et si la mère est méprisée ou si seulement
son être de mère est, devient, second parce que c’est l’accumulation privée qui
devient la préoccupation familiale, que devient dieu ? Si Le petit enfant apprend dès
la séparation que cette séparation est définitive et qu’il ne retrouvera plus la mère
dans la société, mais la séparation, rien que la séparation…il se passe ce qu’il se
passe dans notre réalité. La société ce doit aussi être la mère, la société ce doit être la
séparation et la fusion. Le je et le nous. Nous aussi, communistes, comme les
chrétiens, nous n’avons pas su éviter que nos églises laïques ne répondent
égoïstement. D’aucuns pensent que sans nous cet égoïsme aurait été moins farouche,
sans les chrétiens et sans les communistes. C’est sans compter qu’un individu doit
assurer sa propre survie dans sa propre espèce et que s’il n’a pas conscience qu’il
l’assure mieux collectivement et dans la douceur, il essaiera toujours de tirer son
épingle du jeu.
En fait, il faut que l’égoïsme ne marche plus du tout, qu’il fasse définitivement
faillite, pour que l’individu se tourne vers le collectif. La faiblesse des autres c'est
aussi notre faiblesse, en tout cas la mienne à moi aussi, malgré cet espoir de vie,
comme tous les humains qui se passionnent pour l’humain: plaisir d'intervenir avec
nos valeurs humaines, précaires mais motivantes, douleur malgré tout de savoir qu'il
n'y a aucun espoir que se concrétise en une vie tout ce que le cerveau du moment peut
imaginer de bonheur...et finalement enthousiasme dans les "moments forts" de la vie
sociale et personnelle...
J'aurais voulu communiquer cela à mes enfants, comme toi au tien, mais peut-être
l'ai-je fait (pas tout seul !) et sans doute leur faudra-t-il une vie pour que ça mature. Et
puis un autre bonheur : tout ce qui a existé, existe et existera laissera la trace de son
existence et sachant cela, on vit à la fois dans le passé et le futur en vivant le présent.
Tu appelles ça la résurrection, mais ne la limitons pas à notre petite personne, ça la
rend elle aussi bien petite : et finalement en faisant cela, ne vivons-nous pas plus mal
notre présent ? On ne le sait pas, ce qu'on sait c'est l'effort que l'on fait soi-même et
cette quête du plaisir de vivre, même quand ça va moins bien...
Certains, pour ne pas dire nous tous, cherchons, avec raison, les moyens financiers
collectifs pour réaliser cette aspiration collective. Mais Que ferons-nous de ces
financements et de ces libertés sans cette question : comment produire, quelle
technique utiliser, comment l'utiliser, comment la production et les choix faits
répondront aux aspirations humaines. Ça c'est l'autre bout, totalement imbriqué dans
le premier. Que ferais-tu sans ton écritoire, ta maison, tes repas ?
L' "économisme" comme le "spiritualisme" ce sont deux formes d'approche
unilatérale d'un objet d'étude et d'action.
Vois-tu cher Augustin, dans mon époque, mon temps, on essaie comme toi de
comprendre. Mais certaines choses nous rebutent, certains efforts nous sont
particulièrement pénibles. Par exemple Lire Marx ou les mathématiques. Marx c’est
un humain de mon temps qui a exprimé un courant de pensée qui s’est développé,
puis a été utilisé pour des atrocités, dans un immense conflit humain. Ce courant de
pensée redevient aujourd’hui, comme pour les chrétiens idéalistes, un sujet d’espoir.
Marx est "rasoir" parce dans une société de contrainte, l'utile est contrainte, usage de
soi par les autres, et peu ou pas d'initiative pour l'individu. Donc l’utile est « rasoir »,
et c’est un problème que de le faire devenir plaisant.
C'est pour cela que je te parlerai des "Temps modernes". Il est plus facile de se faire
comprendre avec le sourire et avec l’émotion. Les "Temps modernes", c’est de
Charlie Chaplin: portrait des moyens de production, des forces productives, de Quoi
Faire si demain nous avons ces financements et ces gouvernements et ces libertés que
nous voulons. On est encore dans le NON sans trop se préoccuper de la suite.
Compte-t-on gérer comme à la Libération (de la France et d’ailleurs après
l’occupation Nazi), ce qui était merveilleux à la libération, mais les forces
productives ont extraordinairement changé, hommes et techniques. Mais chaque
chose en son temps ?
Par exemple, dans un débat de mon « Eglise laïque » sur la condition féminine, les
humains mâles rejoignent les femmes qui refusent de placer au devant des
préoccupations la question du travail, pensant que procéder ainsi fait passer au second
plan le comportement machiste dans tout les comportements, familiaux...., et tous les
comportements de la société. Mais voilà, pour un marxiste, l'activité et le lieu où
l'humain produit ce dont il a besoin pour vivre, déterminent les rapports sociaux.
Changer les rapports familiaux est donc une préoccupation particulière, qui demande
une action et une réflexion spécifiques, mais totalement liées à la question du
travail...
Peut-être suis-je déformé par mes propres sujets d'étude et d'écriture...et je crois que
tu l’as été aussi !
J'ai l'impression que l'évocation du patriarcat comme élément qui nous imbibe tous,
inconsciemment gêne les « fidèles de mon église » et de la tienne.
Il nous faut passer de la négation, à la négation de la négation....et nous n'en sommes
souvent qu'au premier terme : négation.
Il faut, Augustin, que je te parle du capital et du travail :
Dans tout acte humain, dans le travail comme dans toute activité, l’individu interroge
ses propres valeurs. Il y trouve les motivations de ses actions. Mais cette diversité
positive se dissout dans la valeur fétiche de l’accumulation privée, laquelle met au
second plan la cohérence d’ensemble de la cité. Ignorer cela c’est aussi un effet de
cette valeur fétiche.
Aujourd’hui où s’amplifient les révoltes (souviens toi encore de Salvien et des
Bagaudes), fièvres d’une maladie à laquelle le corps social réagit, jetons un regard sur
nos actes, pour les poursuivre et leur donner d’amples objectifs. Le « retour de nos
actes », c’est l’équivalent du « retour » pour le chanteur, qui lui permet, en
s’entendant chanter, de chanter juste, de chanter tout court.
Ce « retour de nos actes », ce regard qui nous permet de les voir de plus loin, de plus
haut, collectivement, c’est ce dont nous avons besoin pour nous voir agir en
conscience du monde tel qu’il est et tel que nous pourrions le vouloir et le faire.
Le capitalisme se transforme. Un fruit peut devenir pousse de végétal puis arbre. La
transformation se fait effectivement à l’intérieur du capitalisme, stade ultime de la
société marchande, et en particulier elle se fait dans le marché. Le marché, s'il
fonctionne sur la base des dominations établies, il n'en est pas moins un échange,
inégal, mais un échange. La bataille pour le pouvoir d'achat, pour l'échange équitable
avec le Sud et à l'intérieur du Nord...etc., sont des éléments parmi les multiples qui
indiquent la maturation du fruit. Mais rien ne dit aussi que le fruit ne pourrira pas, ni
que la pousse deviendra un arbre....Un des éléments de la maturation, c'est nous,
alors.......
Les débats politiques ont besoin de prendre en compte cette dimension, c'est-à-dire la
dimension philosophique, qui ne rendra pas pour cela le débat éthéré, mais le
dégagera des opérations politiciennes que nous concocte sans cesse l’élite dominante
du capital. La dimension philosophique du débat peut être populaire tant est que
nous voulions la rendre populaire.
Tu l’as fait, toi, Augustin, et c’est une de choses qui a donné cette beauté et cette
expansion à tes idées.
Il n'y a pas de beauté en soi, mais des rapports humains aux objets qui répondent à
un, des, besoins humains et les réminiscences qu'elles induisent sur tous les regards
et tous les actes.
Pour l'humain, Il n'y a pas d'utilité sans sentiments ni de sentiments sans utilité (on
peut rendre cette phrase négative, évidemment). C'est ça notre regard en retour sur
nous-mêmes sur lequel nous avons à faire tant de progrès. Car la domination et
l'exploitation nous privent en grande partie de ce regard au profit d'un individualisme
au regard très court....
Augustin, je vois (une fois de plus avec ton envoi) à quel point toi et moi oscillons
entre une vision généreuse et une vision atroce de l'humain, tout en étant conscient de
cette "oscillation".
Nous essayons de "tenir les deux bouts" :
-voir cet individu de cette espèce, dans sa réalité matérielle, toute sa réalité de son
corps, son cerveau, leur unité cohérente.
-ET simultanément, voir ce qu'il pense de lui et ses sentiments sur lui-même qui font
partie de son activité.
Je constate dans les débats de mon église laïque une tendance contraire qui nous fait
OU décider en fonction du rationnel connu et oublier l'énigmatique du comportement
et devenir humain, OU passer à tout le contraire, sans cohérence. L'exemple de
l'influence actuelle dans mon église laïque, que j'estime et dont le travail est utile,
s’illustre, sauf erreur de ma part, dans la deuxième phase de ce balancement sans en
avoir conscience.
J’ai grande compassion des humains et ainsi de moi-même. Leur fragilité, leur
précarité, leur incohérence, alors que je vois cette merveille de leur corps, si cohérent
pour se maintenir en vie.
Augustin, il y a une différence entre ton temps et aujourd’hui : nous sommes entré
dans le temps où les techniques, les moyens de production pourraient donner à tous le
temps libre dont tu as disposé, toi. Mais pour le moment cette possibilité n’est utilisée
que par une partie des humains, les autres en sont privés. L’organisation de la cité, est
dominée, encore, par un groupe qui comme de ton temps et de celui de Salvien,
provoque par sa cupidité, un énorme gaspillage du travail humain.
Je te dis tout cela avec importance tout en sachant que si je parle à la première
personne, comme toi, « je n’ai rien que je n’ai reçu », des autres, ces humains avec
lesquels je fais un tout.
Il nous faudra un humoriste à la Chaplin pour nous faire redescendre sur terre....
Augustin, à bientôt.
Céphas 24 avril 2006
Ce que j’ai découvert, et rien d’autre
Cher Pierrot,
J’ai eu connaissance de ta correspondance avec Augustin.
Ce n’est pas l’effet d’une indiscrétion mais de l’amitié que nous te portons.
Apprendre, comprendre, c’est « se dire ». Ce que tu te dis par rapports à mes écrits
montre que tu commences à comprendre ce que je voulais dire.
Mais méfie-toi ; temps de travail moyen socialement nécessaire, baisse
tendancielle du taux de profit, c’est une étude de ma part du capitalisme anglais
du XIX°. Ensuite, l’organisation de ton cerveau, ses processus et
ceux qui étaient les miens, est différente et donc tes capacités aussi.
Ce n’est pas offensant que de dire cela. Cela est vrai pour toi en tant
qu’individu mais aussi c’est vrai pour la capacité de perception du moment,
de votre moment historique, ce qui ajoute à ta propre difficulté : l’apparence
des choses voile encore plus la réalité, à la mesure de la puissance
des moyens techniques employés. La réalité elle-même est plus touffue,
plus complexe, son unité moins évidente, votre intégration au système plus prégnante.
Tu as vu, je crois, que malgré la spécificité de mon étude, les
prévisions concernant le développement du capitalisme, la poursuite de
sa mondialisation et ses effets sur les salaires, la survaleur, la surpopulation
relative se sont confirmées ; spécificité concernant les différences relatives de
situations sociale, économique, politique, idéelle ; malgré le différences « tout court ».
Tu crains d’être quelquefois une « mouche du coche » par rapport à tes
commentaires sur mon travail et celui d’Yves S. Pour éviter cela, il
te faut plus de sens de la mesure, plus de patience, sans perdre ta spontanéité.
D’ailleurs il faut que tu considères que mes écrits sont une « réflexion à
haute voix ». C’est pour cela que je n’ai pas corrigé mes textes précédents
au fur et à mesure, à l’exception du livre I du capital pour l’édition
française en particulier. Je n’avais pas le temps de le faire et ce n’est pas
mon caractère de refaire sans cesse exactement le même chemin, cela me
provoque un ennui profond, du moins au départ et dans l’idée de le faire. Mais
il est vrai qu’une fois commencé un travail de correction, on peut créer
aussi du nouveau. Cette réflexion « à haute voix » par l’écriture « à plume déliée », me
permettait de reprendre un raisonnement dans sa totalité afin de ne pas
reproduire les mêmes insuffisances, ou plus, les mêmes erreurs, le
dé-normaliser, le re-normaliser, à chaque nouvelle rédaction. Mais finalement,
sur l’essentiel, je me suis retrouvé avec moi-même et avec une poursuite des
concepts au point où je les avais ébauchés ou laissé à l’étape précédente,
et des généralisations abstraites à reformuler.
Cher Pierrot, ne te prends pas au sérieux mais travaille sérieusement. Mets un peu
d’humour dans ta cuisine intellectuelle, et tout ira bien, ou du moins le
mieux possible, pour toi et pour les autres. N’oublie pas que toi-même,
comme Augustin et moi-même, nous ne sommes que les héritiers
de ce que nous avons à transformer et que nous devons prendre soin de ne
pas nous approprier un héritage qui appartient à tous, ni de le gaspiller au
détriment des générations futures. Transformer n’est pas détruire. Le mal
n’existe pas en soi, la tendance à le croire est notre plus grande difficulté
et notre plus grand ennemi pour survivre aux nécessités.
Ton idée de m’associer à Schubert me plait. Pour faire une caricature à la Daumier,
Beethoven ce serait la violence et la tendresse, Schubert la puissance et la douceur.
Je crois que tout ça m’a manqué un peu aussi, bien que je ne puisse pas dire
que j’ai manqué ni de puissance ni de tendresse. Ton aspiration au « Schubertisme »,
c’est une demande de plus grande maîtrise de soi-même, essaie d’y répondre.
J’étais bien un produit de la révolution bourgeoise, française en
particulier ; ceci dans une Allemagne en retard sur ce mouvement et qui
puisait dans la recherche l’énergie qu’elle ne pouvait pas mettre
dans la « transformation immédiate ». Cette forme de pensée, j’en ai trouvé
avec Friedrich un champ d’application idéal en Angleterre avec le capitalisme
et le développement des forces productives les plus avancées en quantité.
Mais mon intuition me disait, nous disait, que le champ « vierge » de la
population immigrée de l’Amérique du Nord allait donner des possibilités
incroyablement plus vastes, ce qui s’est produit. Cependant, plus le capital
se développe rapidement, plus il développe ses contradictions et les met en
œuvre dans l’ensemble du globe et de l’humanité.
Cher Pierrot, je te souhaite d’être entendu, modestement, sans orgueil ni
médiatisation à la mode. C’est ainsi que tu seras le plus heureux et le plus utile,
dans ton petit travail et le déroulement de tes jours.
Je t’adresse mes amitiés et mes encouragements. Embrasse Chiara et
tes enfants de notre part.
Karl, Londres, le 5 février 2008
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C’était notre
copain,
c’était notre ami.
LETTRE A GEORGES: ici
Et c’était mon copain, mon ami.
D’une grande délicatesse, d’un esprit aigu d’analyse, d’un grand engagement.
Tout cela au service de l’utilité à la société, à ses amis, une utilité au-delà du clan, ouverte à tous et pour cela militante. Dans sa ville, sa région, son pays, dans les forums sociaux internationaux.
Souvent quand nous nous rencontrions, il me disait : as-tu suivi tel évènement, est-tu au courant de ce débat sur telle ou telle action, telle ou telle idée ? As-tu lu cet article de "l'Huma", suivi cette réunion de tel ou tel syndicat, parti, association ?
Malgré de graves problèmes de santé, il ne rechignait ni au travail intellectuel, ni aux responsabilités, ni aux « corvées » militantes peu motivantes pour d’autres. Parce qu’il se voulait utile.
C’est peut-être parce que sa santé ne lui permettait pas de faire tout ce qu’il voulait, tout ce qu’il pensait indispensable, qu’il se sentait quelquefois inutile et qu’un pessimisme l’habitait sans pourtant entamer ses idéaux, ses raisons d’être, sans entamer sa lucidité, au contraire en l’aiguisant.
Ce pessimisme était aussi de l’espoir : le ressenti profond et affolé de la dureté de la vie et des humains et la volonté de l’adoucir, par la solidarité, l’amitié.
Sans que ce pessimisme se reporte dans son comportement sur les autres, sans altérer son affection généreuse, ni ce petit sourire doux ou ironique qui l’animait et rompait sa mélancolie, sa tristesse, et même son angoisse, quand il se sentait en accord dans l’action avec un autre, avec les autres.
Des peuples pensent qu’on meurt deux fois. Lors de sa mort biologique, et lors de la disparition de tous ceux qui vous ont connu. Ami apparemment effacé, Georges Pedrono a pourtant marqué les collectifs et les personnes qu’il a côtoyés et à travers eux, sa trace sera indélébile, au-delà de leurs disparitions.
Dans le processus humain, l’action sociale, au sens de l’action en profondeur sur la marche de la société, aujourd’hui dévalorisée, quelquefois méprisée, toujours détournée par les grands intérêts privés, mais toutefois essentielle, marque indéfiniment ce processus de la nature qu’est la pensée humaine en mouvement.
Nous ne sommes que cette organisation de la matière qui permet à la nature d’avoir conscience d’elle-même, conscience qui progresse chaque fois que nous assurons la santé de ce processus.
Georges, ne démentirait pas cette vision car il la partageait profondément, et cela est notre consolation.
Pierrot, 1er août 2010
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http://www.pierreassante.fr/dossier/2_lettres_Rappel.pdf
28 octobre 2007
Nous enseignons et acceptons d’être enseignés à partir du moment où nous avons compris la nécessité ou l’utilité de la « chose enseignée », ou que nous avons déjà au moins « l’intuition » de cette utilité....
(Suite sur le lien ci-dessus)
18 mai 2007
Nous entrons dans une période de destruction très accélérée des rapports sociaux. Nicolas Sarkozy et son équipe ne sont que la pointe avancée de cette entreprise qui a commencé de longue date. Cette équipe pense qu’en régentant sur la base du libéralisme économique, ils vont pouvoir relancer une cohésion sociale productrice de richesses. Mais c’est une conviction et non un enrégimentement qui procure une cohérence à la société.....
(Suite sur le lien ci-dessus)
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