« …Les défauts du matérialisme abstrait des sciences de la nature qui ne tient pas compte du processus historique, sont déjà perceptibles dans les représentations abstraites et idéologiques de ses porte-parole, dès qu’ils se risquent en dehors de leur spécialité… » Le Capital, livre I. « …Chez Feuerbach, le matérialisme et l’histoire sont carrément dissociés… », poursuit l’Idéologie allemande, établissant ainsi une distinction fondamentale qui oppose le matérialisme dialectique-historique à l’ancien matérialisme mécaniste : « …Tant qu’il est matérialiste, Feuerbach ne fait pas mention de l’histoire et lorsqu’il prend l’histoire en considération, il n’est pas matérialiste". C’est ce que Feuerbach avait exprimé lui-même en se disant matérialiste « en arrière » (c'est-à-dire en considération de la base matérielle) mais idéaliste « en avant » (c'est-à-dire en considération de l’éthique et même de la philosophie de la religion). C’est précisément l’omission, dans le matérialisme feuerbachien, de la société, de l’histoire et de sa dialectique, c’est cette absence de vie qui en découle et caractérise l’ancien matérialisme mécaniste, le seul qu’ait connu Feuerbach, qui détermine finalement chez ce philosophe, à la fin de sa philosophie, un idéalisme quelque peu embarrassé. Cet idéalisme transparaissait dans son éthique vitale, il se manifeste dans ses prétentions à une certaine sentimentalité fraternelle du dimanche. Ce qui prévaut ici encore, c’est comme le dit la thèse 9, "La façon de voir les individus de la société “bourgeoise” pris isolément", mais la religion dont Feuerbach était apparemment venu à bout, refait une fois encore surface sous forme de religion simplement détournée vers l’anthropologie sans avoir été critiquée sur le plan social. De cette manière Feuerbach ne critique pas les contenus religieux proprement dits, mais essentiellement leur transposition dans l’au-delà et parallèlement, l’affaiblissement de l’humain dans son en-deçà. Le fait qu’il ait voulu rappeler à la « nature humaine » combien elle avait par là dissipé ses richesses, est une réduction qui soulève certains problèmes. Qui oserait nier l’humanité, l’humanité profonde de l’art religieux, que ce soit chez un Giotto, un Grünewald, un Bach et peut-être enfin chez un Bruckner ? Mais chez Feuerbach, le cœur, la fraternité, et le sentimentalisme sans pareil font de tout cela presque une espèce de théologie du cœur, librement religieuse. Ajoutons à cela que dans le vide inévitable de son “idéalisme en avant”, il laisse subsister presque tous les attributs de Dieu le Père, sous forme pour ainsi dire de vertus en soi dont il n’aurait soustrait que le Bon Dieu. Au lieu de : Dieu est miséricordieux, est amour, est tout-puissant, fait des miracles, exauce les prières…il faut désormais dire : la miséricorde, l’amour, la toute puissance, les miracles, l’exaucement des prières sont divins. De ce fait tout l’appareil idéologique est maintenu, il n’est que transposé de son siège céleste dans une certaine religion abstraite où trônent, réifiées, les vertus de la “base naturelle”… »
4 Bonnes pages, de 319 à 322 :
http://pierreassante.fr/dossier/BLOCH_PRINC_ESPER_P.319_A_322.pdf
Ernst Bloch, « Principe Espérance I », Gallimard, 2009
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